Tuesday, October 09, 2007

Fantôme

Elle erre dans ma tête depuis près d'un an.

Je me vois courir, courir inlassablement vers elle, pour tenter de la rejoindre, pour tenter de la sauver... Avant, j'arrivais à lui prendre la main, à l'emmener avec moi, en courant, l'espace de quelques secondes, à la sauver de la mort... Quelques secondes illusoires de rêve éveillé qui ne changeait rien à la réalité.

En août, après avoir reçu les photos de sa tombe, je me suis vue courir, simplement courir, seule, vers l'avant, la laissant derrière moi. J'avais admis que c'était fini, que je ne pouvais plus rien faire pour elle. Ca n'a duré que quelques jours.

Depuis, je cours à nouveau vers elle mais je n'arrive jamais à la rejoindre, jamais à la toucher. Je cours seule. Vers elle, que je ne parviens pas à approcher.

Je cours, à nouveau, interminablement, comme dans un long cauchemar hors du sommeil, vers celle qui m'attend mais qui n'est pas là. Vers celle dont l'absence est chaque jour une nouvelle déchirure. Vers celle qui n'aurait pas dû mourir, pas si tôt, pas comme ça.

Elle aurait eu 34 ans ce mercredi 10 octobre.

Saturday, October 06, 2007

Pas de mot

La vérité, c'est qu'il n'y a pas de mots, pour parler de nous. Il n'y a pas de mots, pour décrire ce dans quoi nous sombrons, jour après jour.

Pas de mot pour réconforter mes enfants lorsqu'ils pleurent, parce qu'ils sont tristes et seuls, pas de mot pour leur dire que la vie vaut quand même le coup.

Pas de mot pour vous dire la cruauté de notre situation, ces mille choses qui nous ramènent à notre détresse, jour après jour.

Pas de mot pour surmonter l'enfance brisée, pas de mot pour surmonter la mort.

J'aimerais m'asseoir et ne plus sentir, m'asseoir et regarder passer le monde et les gens, m'asseoir et ne plus bouger.

M'asseoir et pleurer, peut-être, pleurer toutes ces larmes qui m'étouffent ce soir, mêlées à celles de mes enfants.

Pleurer leur tristesse et crier leur colère, parce que je n'en peux plus d'être le receptacle de tout chagrin, de toute leur douleur, de toute leur rage, en plus de mon chagrin, de ma douleur et de ma rage.

Pas de mot... Plus de mot... J'avais espéré mais je n'ai plus rien à écrire de joli, tout nous ramène à ce mur de silence.

Wednesday, October 03, 2007

S'adapter

Il y a quelques jours, Nana m'a raconté combien la chanson que le maître leur apprend en ce moment la rend triste. Maman, Papa de Brassens

Maman, maman, en faisant cette chanson
Maman, maman, je r'deviens petit garçon
Alors je suis sage en classe
Et pour te faire plaisir
J'obtiens les meilleures places
Ton désir
Maman, maman, je préfère à mes jeux fous
Maman, maman, demeurer sur tes genoux
Et sans un mot dire, entendre tes refrains charmants

Maman, maman, maman, maman
Papa, papa, en faisant cette chanson
Papa, papa, je r'deviens petit garçon
Et je t'entends sous l'orage
User tout ton humour
Pour redonner du courage
A nos cœurs lourds
Papa, papa, il n'y eut pas entre nous
Papa, papa, de tendresse ou de mots doux
Pourtant on s'aimait, bien qu'on ne se l'avouât pas
Papa, papa, papa, papa

Maman, papa, en faisant cette chanson
Maman, papa, je r'deviens petit garçon
Et, grâce à cet artifice
Soudain je comprends
Le prix de vos sacrifices
Mes parents
Maman, papa, toujours je regretterai
Maman, papa, de vous avoir fait pleurer
Au temps où nos cœurs ne se comprenaient encor pas
Maman, papa, maman, papa

Sérieusement... est-ce une chanson à enseigner à une fillette qui a subi des agressions sexuelles de la part de son père, et dont l'oncle a tué la tante moins d'un an avant?
L'instit sait pourtant.... Il sait, mais ne réalise pas, comme bien des personnes.
Elles sont d'abord sous le choc... Puis font mine d'oublier combien c'est grave - quand elles ne me conseillent pas, carrément, de ne plus en parler aux enfants afin d'éviter de les traumatiser davantage et de leur permettre d'oublier.

Non, vraiment, on ne veut pas voir combien c'est grave. Pas voir qu'il faudra des années à mes enfants pour se remettre de tous ces drames, de toute ces violences physiques et psychologiques.

Ce qu'on se dit -j'imagine trop la discussion dans la salle des profs, si celui de Nana a eu des doutes et a sollicité l'avis des collègues- c'est qu'il faut bien qu'ils acceptent, que de toute façon, ils seront toujours confrontés à ça, des chansons, des histoires, sur les papas.
Mais justement... Ils sont confrontés à ça, dans le quotidien. Des papas qui s'occupent de leurs enfants. Comme ça les rend tristes, les miens d'enfants, chaque fois... Mais c'est comme ça, il y a des papas formidables, et il faut que mes enfants le sachent, ça leur donne la possibilité, à l'un de devenir un bon père, à l'autre de ne pas accepter n'importe qui.
Et puis effectivement, je ne peux pas éradiquer tous les pères de la terre. Ils sont là, mes enfants les voient.
Et c'est déjà suffisant.... Pourquoi en rajouter sous le prétexte que c'est inévitable? Pourquoi ne pas essayer d'alléger le poids que portent mes enfants?

Imaginent-ils, tous ceux qui ne veulent pas voir la réalité, imaginent-ils tout ce que mes enfants portent?
Tom-Tom joue beaucoup au méchant petit garçon qui nous use et envers lequel on finit par avoir des sentiments violents... Petit garçon à qui papa disait qu'il était méchant, lorsqu'il ne se laissait pas faire. Petit garçon à qui papa réclamait certaines caresses.
Nana s'enfonce jour après jour, sous mes yeux, dans une tristesse sans borne. Remplie à ras bord de culpabilité, celle de n'avoir pas dit avant, celle d'avoir causé des embêtements à papa... Celle de n'avoir pas sauvé son petit frère, lorsque papa s'enfermait avec lui dans la chambre, la collant devant la télé...

Voilà ce qu'ils ont vécu mes enfants. En plus du traumatisme d'une mort violente, injuste, pas encore admise, ni par eux, ni par moi, malgré les photos de la tombe arrivées fin août par mail.

Ca suffit, pour une enfance. Ils ont eu leur dose. On peut leur épargner les chansons nostalgiques de l'adulte qui n'a compris que trop tard combien ses parent étaient formidables...

Les discours de la pupart des adultes reviennent à ça: mes enfants - et tous ceux qui vivent des drames - doivent assumer. S'adapter à la société telle qu'elle est, parce qu'on ne va pas changer la société pour eux.

Une fois encore, je regrette de n'avoir pas déscolarisé les enfants cette année. Ils avaient besoin d'être protégés, protégés du monde des adultes parfois fort inhumains.... Protégés du monde scolaire qui ne leur apporte pas grand chose, si ce ne sont d'autres violences, d'autres humiliations, et du délaissement.
Mes enfants ne sont plus des enfants comme les autres... Ils sont très fragiles et réclament davantage d'attentions - voire de respect, mais je ne rêve plus. Sans doute cela dépasse-t-il les compétences d'un enseignant pris dans sa gestion de classe - quoique se passer de certaines chansons, ça reste faisable...

En attendant que je trouve une solution - peut-être... Mes enfants - Nana particulièrement, qui semble aller nettement plus mal que son frère - devront continuer à s'adapter...