Il y a des enfants que je n'oublierai jamais. Des élèves qui m'ont particulièrement touchée. Je les ai parfois évoqués ici.
Et puis il y a "elle", dont j'ai soigneusement caché l'existence à tous jusqu'ici. Même à mon homme oui.
Elle, elle avait 9 ans.
Nos chemins se sont croisés il y 3 ans, un peu avant ma rencontre avec Mister k.
J'avais sollicité un remplacement en CLIS, les classes pour élèves présentant un handicap mental ou un problème de comportement lourd.
En réalité, une grande majorité de ces enfants n'ont pas de handicap mental. Ils sont handicapés de l'amour. Ils n'en ont pas reçu assez, ou du mauvais. Ou des coups. Ou l'abandon. Alors ils se construisent comme ils peuvent. Quelle importance? Aucun parent ne leur ouvre les bras le soir lorsqu'ils sortent de l'école. Non, le soir, ils se retrouvent dans leurs foyers d'accueil, avec des éducateurs certainement gentils et compétents, mais rien de comparable avec l'amour des parents, c'est évident.
Elle était de ceux-là. De ceux pour qui l'horizon, c'est le foyer. Issue d'une famille très nombreuse (plus de 10 enfants), tous enlevés aux parents pour défaut d'éducation, parents qui ne prenaient plus la peine de donner signe de vie à leurs enfants depuis un certain temps.
Et elle en crevait de douleur.
Et ce fut elle, et ce fut moi. La rencontre.
J'ai franchi la barrière. Je l'ai aimée comme si elle avait été mon enfant. Elle m'a aimée comme elle aurait aimé aimer sa mère. Et j'ai songé à devenir famille d'accueil pour qu'elle vienne vivre avec Princesse, Viking et moi. Sans faire abstraction des difficultés présentes et à venir, parce qu'une fillette comme ça, il ne suffit pas de l'aimer, il y a beaucoup à réparer.
Et puis... et puis ce n'était pas possible, voilà. Je le savais. Parce que dans le monde dans lequel nous vivons, ça ne se fait pas. L'amour ne suffit pas, il faut en passer par la justice. Qui n'aurait pas séparé la fillette de la fratrie, et moi, je ne pouvais accueillir toute la fratrie - sans doute uniquement un de ses frères, je crois me souvenir que tous les enfants étaient en réalité dispatchés partout parce qu'ils grandissaient mieux loin les uns des autres.
Alors doucement, j'ai fait ce qu'il fallait. J'ai dénoué le lien. Sans trop de mal en réalité, parce que dès le début j'ai su que rien ne serait jamais possible et que je n'ai donc jamais rien fait espérer, rien promis. Elle a eu les mêmes câlins que les autres - certains m'en demandaient beaucoup-, la même disponibilité, j'ai toujours fait attention à ce qu'elle ait ni plus ni moins - d'accord, elle a eu un peu plus de câlins, parce qu'elle les réclamait plus, et ceux-ci étaient sans doute plus affectueux.
Elle a su... Qu'entre elle et moi, c'était spécial. Qu'elle était spécial pour moi. Que j'étais plus qu'une prof pour elle. Que j'ai été pour elle, l'espace de 2 mois, ce qui pouvait le plus approcher d'une mère.
La prof de la CLIS est revenue. J'ai fini à mi-temps dans cette école. J'ai continué de la rencontrer dans les couloirs. Et puis il y a eu Mister k, la grossesse... Ma vie a continué, ailleurs.
Je ne pouvais rien faire. Rien. Rien de suffisant. Juste lui donner une toute petite dose d'amour maternelle. Peut-être juste de quoi la faire tenir, lui donner un peu de solidité, mais je ne suis ni dupe ni naïve, cette toute petite dose d'amour n'est pas grand chose face à la douleur de sa vie.
Saturday, September 03, 2011
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4 comments:
Comme ça a du quand même être difficile cette séparation. Parce que c'était elle et parce que c'était toi.
Ton article me touche, pour plusieurs raisons.
Je sais que c'est facile à dire, que les sentiments sont là parfois, mais je ne pense pas qu'en tant qu'instit on doive s'investir aussi fort émotionnellement. Pas pour nous, nous sommes des adultes, nous devons être capables de gérer cette situation. Mais pour les enfants, surtout des enfants comme cette petite élève déjà bien malmenée par la vie, c'est vraiment trop terrible. Car quand l'année ou les mois de remplacement se terminent, c'est à nouveau un abandon qu'il faut surmonter. Et à force de vivre ce genre de situations, ces enfants risquent de ne plus être capables d'attachements puisqu'ils se terminent toujours par un déchirement. Je ne juge pas, hein, je sais que quand l'amour est là, c'est difficile, voire impossible, de faire comme si de rien n'était.
Mais je repense souvent à un cours très très intéressant que j'ai eu dans le cadre de ma formation d'instit. La prof était une psychanalyste spécialisée en éducation et elle nous choquait beaucoup, à l'époque, en nous disant qu'un enseignant n'avait pas à aimer ses élèves !
Comment ? On ne doit pas aimer nos élèves ???
Non, rétorquait-elle catégoriquement ! Un enseignant doit RESPECTER ses élèves, et pas les aimer.
Ça a été un choc pour moi ! Mais je pense qu'elle avait raison. Les enfants savent quand on les respecte, quand on les accepte tels qu'ils sont, même si on les gronde ou on les remet à l'ordre pour des comportements inacceptables. Quant aux sentiments, ben ils peuvent rester discrets en arrière plan.
J'espère que tu ne seras pas blessée par mon commentaire. Encore une fois, je ne juge pas. Et je ne peux qu'espérer que ce lien spécial que vous avez pu vivre, toi et cette petite fille, aura été un plus dans sa petite vie d'enfant.
j'en ai la chair de poule rien qu'en lisant... ne doute pas, soit certaine que ce peu d'amour c'est beaucoup pour elle, c'est peut être tout ce qu'elle recevra avant un long moment... et c'est certainement ce qui la portera dans les moments où elle en aura le plus besoin. On ne peut pas se tromper quand on aime.
Mamanlit, comme un renoncement.
Loulou: tu ne me blesses pas et je suis totalement d'accord avec toi, de A à Z; et consciente des dégâts que cette relation ont pu causer - j'ai vraiment essayé de garder la distance malgré tout mais il y a des choses qui passent.
Virginie, je ne sais pas, vraiment...
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