Thursday, February 10, 2011

Rien ne se perd...

Je reprends le travail début mars et nous déménageons en juillet. Je m'affole un peu... J'aimerais que chaque objet trouve naturellement sa place dans "son" carton afin de nous faciliter la tâche... Encore pas mal de choses à trier pour cela, et peu de temps, de moins en moins de temps, c'est mathématique.

Quelles choses?
Les photos par exemple. Celles qui végètent dans leurs boîtes depuis que je les ai récupérées chez le photographe qui les a développées - je vous parle d'un temps...etc...

J'ai une relation compliquée avec les photos.
Ca a été une réelle passion; à 11 ans j'ai réclamé un appareil photo, j'ai entamé un album photo, fouiné dans ceux de mes parents pour récupérer les photos d'eux enfants et les photos de mes frères et sœur et moi avant que moi-même je ne commence à flashouiller...J'ai reconstitué la saga familiale, j'ai pris beaucoup de photos de mon jeune frère né lorsque j'avais 12 ans, et heureusement parce que ma mère n'en prenait plus aucune.
J'ai eu des appareils de meilleure qualité par la suite.
Je ne me suis jamais lassée de prendre des photos, d'écouter les conseils de mes 2 oncles fous de photos, de constituer des albums...

J'ai pris beaucoup de photos de Princesse bien sûr.
A ce moment-là, j'étais très amie avec ma voisine qui avait été prof de photo et qui m'a conseillé de ne plus m'embêter à acheter des albums photos, plutôt chers, et de simplement coller les photos sur des feuilles, de glisser ces feuilles dans des pochettes transparentes, dans des classeurs.

Je n'ai pas la prétention de dire que j'aie jamais fait de jolies photos, j'ai toujours eu conscience de mes compétences/capacités/limites, mais voilà, j'ai toujours aimé ça, faire des photos. Pour garder les traces, les souvenirs, les empêcher de partir...

Et puis, il y a eu le tournant de ma vie, la rupture... En 2002, la séparation d'avec le père de mes enfants.
Bien sûr, il faut garder les traces d'un amour défunt, pour les enfants, pour qu'ils sachent d'où ils viennent... Sauf que pour nous, il s'agissait d'une imposture, d'un mensonge: mon ex et moi, nous ne nous sommes jamais aimés. J'étais là, il était là, je suis tombée enceinte, je l'ai quitté à l'époque puis j'ai eu honte, de moi, d'être mère célibataire à 22 ans, alors nous nous sommes installés ensemble finalement, la suite, c'est un mariage, un autre enfant et une rupture, donc.
Tout cela, je ne l'ai jamais assumé. Le jour de mon mariage, je me demandais pourquoi je faisais cette connerie, d'épouser un homme que je n'aimais pas?
J'avais tellement peur, que personne ne veuille jamais de moi... Je me sentais si moche, si inintéressante, je ne voulais pas finir vieille fille...
Je sais, c'est complètement idiot, mais on ne refait pas l'histoire, et à 22 ans, j'étais incapable de lutter autrement contre les idées dans lesquelles j'avais été élevée.
Et puis comment regretter, avec une Princesse et un Viking dans ma vie?
N'empêche, les photos d'alors, où on nous voit nous sourire, nous embrasser, être "un mignon petit couple" comme on nous étiquetait alors, c'étaient le témoignage de cette imposture, de ce long mensonge qui a duré 4 années.

Puis notre divorce est passé de glauque (un ex alcoolique, violent, absent) à sordide (il a abusé de nos enfants...).
Comment, dans ces conditions, regarder les images d'autrefois?

Je n'ai pas cessé de prendre des photos, mais j'ai cessé de les regarder, j'ai cessé de regarder le passé. Pendant encore un an ou deux, j'ai continué de les coller dans des classeurs, puis je n'ai plus eu le temps. En 2005, j'ai eu un appareil photo numérique. Je n'ai pas développé une seule photo depuis. Les photos ont résisté à plusieurs crashs informatiques, elles sont sur le web pour certaines, sur PC ou sur clé USB pour d'autres.

Princesse et Viking ont grandi dans cette absence des traces d'autrefois. Viking a repéré les albums avec les photos de lui bébé et les feuillette parfois. Pose des questions. Princesse aussi. J'ai longuement esquivé.
Comment parler facilement, librement, de cette histoire si compliquée, si tragique, dont ils sont issus? De ce père, lui-même enfant martyrisé, à l'histoire dont je ne connais que des fragments? De cette double famille, la biologique, l'adoptive? Des deux mères? Des deux sœurs, si vénéneuses l'une comme l'autre? De ce drame, le meurtre de leur tante, de leur oncle en prison, de leur père, coupable d'un crime envers eux? Comment parler de moi dans tout ça, de ma honte, de mon sentiment de culpabilité?

Il m'a fallu des années. Depuis peu, j'arrive à parler. A mettre des mots. A expliquer. A dire qui est qui, qui a fait quoi. Mais voir les photos, voir resurgir des souvenirs plus ou moins heureux, des événements que je préfère oublier, ma belle-sœur qui n'est plus, c'est encore trop douloureux.

Je me souviens de mon avocate qui me demandait si et comment je parlais de leur père à mes enfants, s'il y avait des photos de lui chez nous, parce que c'était obligé, que je le fasse, le juge aux affaires familiales n'en attendrait pas moins de moi, étant donné que le père et les enfants ne se voyaient plus, et ce pendant plusieurs années. Pourquoi l'aurais-je évoqué, comment surtout, avec tout le mal qu'il nous a fait? C'est la dernière psy des enfants qui m'a déculpabilisée à ce sujet. Quand une histoire est finie, elle est finie, qui encadre des photos de son ex chez lui? D'ailleurs, y a-t-il des photos de l'ex de Mister k, mère de son fils, à la maison?

Je crois que ça m'a aidée à oser... Oser en parler, oser dire, oser voir...

Cela faisait très longtemps que je me disais qu'il fallait que je m'occupe de ces photos, dans leurs boîtes pour certaines - celles en provenance directe de chez le photographe-, dans une boîte à chaussures pour d'autres - celles qu'on m'a données au fil des années-, qu'ainsi entreposées, elles prenaient plus de place que dans les albums. Que ces boîtes m'avaient suivie dans 3 déménagements et qu'on allait leur en éviter un 4ème.
En début de semaine, j'ai pris mon courage à deux mains. Sorti les boîtes, les classeurs, les feuilles de couleur, la colle et les ciseaux.

J'ai revu mes enfants petits... Constaté qu'ils étaient heureux.

J'ai remis le nez dans les albums. Je finis le 19ème. Je les ai remis dans l'ordre, j'ai décidé de les numéroter pour faciliter le futur emménagement (et le tri des négatifs par la même occasion), ma main s'est arrêté sur le 6ème... Nos fiançailles... Le baptême de Princesse (encore une chose que je n'assume pas). J'avais réuni ces deux événements éloignés de plus d'un an dans le temps parce que l'album était très joli. Qu'en faire? Arracher les photos où nous sommes dans les bras l'un de l'autre, laisser les autres, parce qu'il y a les membres de notre famille?
Laisser l'album en l'état, et le cacher là où j'ai caché l'album de photos du mariage: dans le grenier de la maison de ma sœur?

J'ai découvert des photos qui ne me plaisent pas... L'époque où je dégainais l'appareil photo les rares fois où le père voyait ses enfants, pour figer l'instant, pour "plus tard", pour Princesse et Viking. Pas encore collées... Qu'en faire?

Il fallait bien qu'un jour ou l'autre, je me confronte à ce problème. Aux témoignages du passé, aux mensonges fixés sur la pellicule. Et que je me demande si je dois les faire passer à la trappe, ou les glisser dans une boîte qui restera quelque part, loin, tout au fond, en attendant le jour où les enfants sauront ce qu'ils veulent en faire - parce que tout cela leur appartient, plus qu'à moi, peut-être. Parce que c'est leur histoire, leur passé, leur famille, leur père, malgré tout; que moi, je peux en partie tourner la page parce que je sais à quoi m'en tenir, parce que je peux continuer ma vie sans tout ça, mais que je n'ai pas le droit de tourner la page pour eux.

Quand j'en aurai fini avec toutes ces photos en souffrance depuis des années, je pourrai, je l'espère, m'occuper des photos d'aujourd'hui: celles de notre famille recomposée, celles de Libellule - nous n'en avons pas une seule d'elle dans la maison! Elles sont toutes dans l'ordinateur, attendant sagement que je sois disponible pour leur donner, à leur tour, la place qu'elles méritent.

5 comments:

Bismarck said...

Pas facile, tout ça.
Mais je ne comprends pas trop pourquoi le juge aux affaires familiales souhaiterait que tu parles de leur père aux deux grands. Oui, s'ils posent des questions, bien sûr; mais sinon, pourquoi vous imposer cette souffrance? L'oubli a aussi du bon!

mim_ said...

On sent bien toute la complexité de ta situation, de VOTRE situation, dans ce billet...
Je pense que tu as choisi la bonne option : poser tout cela, pour pouvoir le ranger, jusqu'au jour où tes enfants te les demanderont... ou pas.

Valérie de Haute Savoie said...

Depuis le début la justice semble avoir pris le mauvais chemin et tu n'es pas du tout obligée de la suivre. Fais comme tu le sens. Je serais plutôt d'avis de ne pas jeter, mais de mettre ces photos avec celles qui sont déjà chez ta soeur et de ne plus y penser. Des photos ce ne sont que des bouts de papier après tout.
Tu es très prévoyante en faisant déjà les cartons pour juillet dis donc, chapeau !

FD-Labaroline said...

Comme les com précédents, c'est un peu grand n'importe quoi cette idée de photos affichées du père dans la maison pour les enfants à l'époque :-) chez moi il n'y a pas de photos de mon ex, pas plus que de photos de l'ex de mon Doux (ça va bien, oui??! quelle idée à la c***!) Par contre, quand je me suis mise à trier les photos de la 1ère famille, je les ai gardées de coté pour les garçons, ils le savent et parfois (pas souvent...) les consultent quand ils sentent le besoin de revoir leur père en "homme", tel qu'il était à l'époque. Ainsi je n'ai pas cédé à mon premier geste qui était de tout mettre à la poubelle mais je n'ai pas abreuvé les garçons non plus. ça fait 3 ans. Depuis une année, depuis qu'ils ne le voient que 2 fois par an, ils ne regardent plus les photos "d'avant". Ils ne s'y reconnaissent pas, ne s'y retrouvent pas, ça n'est pas leur vie et ça ne leur parle pas, ont dit les grands. Tu peux leur faire un album pour eux, qu'ils consulteront à leur gré, s'ils en ont envie...Ou pas. C'est eux qui choisissent...
Courage pour tes cartons, pfiou... !

Mamanlit said...

Mm, quelle idée saugrenue.
Je pense que tu sais faire la part des choses.
Alors oui, garder les photos. Les poser quelque part parce que ça fait partie d'une histoire, de la leur. Et peut-être que le jour où ils deviendront parents ils auront besoin d'avoir ces photos.
Mais je comprend la douleur d'avoir à regarder des images qui ne transcrivent pas la réalité.
Ils sauront faire aussi la part des choses. Mais plus tard.
Une grande boite fermée. Qui attendra leur demande si elle vient un jour.


En attendant, bon courage avec les cartons !