Ce matin, j'ai ouvert les volets pour laisser entrer la lumière. J'ai mis de la musique, pour réveiller les enfants en douceur. Je les ai emmenés à l'école.
Juste avant, j'ai appelé mon école actuelle, pour prévenir que j'étais arrêtée jusqu'à mardi.
Mardi seulement, a dit le médecin, parce qu'après c'est l'engrenage. Il m'a prescris anxiolytiques et antidépresseurs en prime. Pour moi, c'est ça, le début de l'engrenage. Moi, sous médocs anti dépression... Une nouvelle page se tourne. La peur que cela ne s'arrête pas. La crainte de l'accoutumance. De ne plus pouvoir faire face.
Faire face... Jeudi, à ma classe. A ce gamin qui a menti à ses parents, des parents qui aujourd'hui m'accusent d'accuser injustement leur fils.
Ce n'était rien, pourtant. Un collègue avait assisté à la scène de tabassage que j'ai rapportée par écrit aux parents. La vérité est donc facile à rétablir.
Mais... je n'ai pas pu. Supporter ça, cette injustice dont j'étais victime.
J'ai compris ça en y repensant ce matin. Que les jambes qui ne me portaient plus, le cœur qui battait la chamade, ce vacarme dans ma tête, l'asphyxie, l'envie de tout envoyer valdinguer une bonne fois pour toutes, c'était à cause du sentiment d'injustice.
Comment supporter ça, comment le surmonter, alors que j'attends que justice soit faite pour mes enfants? Alors que je suis convoquée, ainsi que mon ex-mari, devant le juge aux affaires familiales le mois prochain, avec mes fiches de paye et mon avis d'imposition, entre deux affaires de révision de pension, alors que mes enfants à moi ont été victimes de violence, ce n'est pas la même chose, c'est plus grave quand même! Mais non, la justice va son rythme et met tout ce qui la dérange dans le même panier.
Comment supporter, chaque jour, toutes ces agressions physiques et verbales entre les élèves, c'est bien simple, ça n'arrête pas, et ce n'est pas juste une image. C'est à prendre au premier degré. Ça n'arrête pas. Et je dois le supporter, l'accepter, accepter aussi de voir ces gamins arriver puants, les vêtements sales, troués, cachant des maux physiques sous de pieux mensonges éculés (je suis tombé/c'est mon petit frère il n'a pas fait exprès)
Hier, j'ai lu le mot dans le cahier de correspondance, j'ai vu le gamin (un enfant roi dans toute sa splendeur celui-là) continuer de mentir, j'ai appelé mon collègue à la rescousse, j'ai crié, et puis il y avait tous ces élèves assis à leurs tables dans la classe, j'ai cru une nouvelle fois que je n'y arriverais pas. Que cette fois-ci, c'était fini. Que j'allais tous les planter là et m'enfuir.
Le système de secours s'est mis en place malgré moi. J'ai lu l'histoire d'Hansel et Grethel (nous travaillons sur les sorcières en ce moment), un enfant a pleuré lors de l'épisode de l'abandon par les parents (mais la psy scolaire dit qu'il va très bien), j'ai continué, comme tous les jours.
J'ai appelé le médecin qui m'a donné rendez-vous le soir.
J'ai cogité toute la journée, la honte d'abandonner, mais aussi la certitude que je commence à basculer du mauvais côté du fil.
Aujourd'hui, j'ai toujours honte d'avoir abandonné. Je suis triste d'en être réduite à devoir prendre des médicaments. Apeurée à l'idée que le combat est loin d'être achevé. Angoissée par l'avenir proche (vais-je parvenir à retourner faire classe?) ou plus ou moins lointain (je vais bientôt revoir mon ex dans le bureau du juge... et je dois choisir mon poste de l'année prochaine)
Je me sens libre, aussi, pendant quelques jours. Libre enfin, pour contacter mon avocate, relancer des personnes qui devaient me faire des attestations, réfléchir à différents aspects du dossier.
Ce matin, j'ai surtout rempli les livrets d'évaluation des élèves... Sacrée conscience professionnelle! J'espère avoir un peu de temps pour moi, c'est une chose précieuse, le temps pour soi, et je parviens de moins en moins à le prendre - toujours un truc plus ou moins urgent sur le feu, beaucoup de pression que je me mets moi-même pour être une parfaite maman-amoureuse-professeur dézécole-amie-femme de ménage-cuisinière-couturière... Je ne cesse de m'en rajouter, dans la parfaite conscience que c'est pour m'éviter de penser. Pas étonnant que ça commence à craquer...
Je ne pensais pas écrire autant... Mais il y a tant à dire. Pour essayer de lancer le plus loin possible la peur qui me ronge - et aussi, parce qu'ensuite les médicaments agiront et que je ne serai peut-être plus capable d'écrire...
J'essaie de me rassurer. De me dire que tant que j'aurai envie, le matin, de laisser entrer la lumière et d'écouter de la musique, le tunnel ne se sera pas tout à fait refermé.
(et puis je vais pouvoir répondre à vos commentaires... Je n'ai pas eu le temps de le faire dernièrement)
Friday, April 11, 2008
Subscribe to:
Post Comments (Atom)
8 comments:
Tu le dis toi-même. Ce qu'il te faut, c'est du temps pour toi. Arrêter de n'être que pour les élèves, les enfants, les autres...
Je dis ça, mais je me doute que ce n'est pas facile de trouver du temps juste pour toi.
Ne laisse pas tomber! (Bientôt les vacances?)
Tiens bon.
tu avais besoin de dire...d'écrire...de prendre du temps..
prends le..ici..si ça te fait du bien..
courage....
par expérience je t'assure que la prise de médicaments n'empêche pas d'écrire (et, au passage, qu'elle ne résoud pas les problemes, elle aide seulement à ne plus étouffer sous eux, c'est peu et beaucoup à la fois)
bon repos jusqu'à mardi
Tiens, je me faisais une reflexion similaire vendredi, parce que plus grands, c'est pareil... mais tant qu'on est heureux de se lever le matin et d'aller à leur rencontre, tout n'est pas perdu. Avec ou sans "béquille".
Tirui a parfaitement raison. L'important c'est de ne pas se laisser enterrer par les problèmes, les pilules spagrave. Prends soin de toi!
(Chui po un Jeunot d'ailleurs)
Je suis complètement d'accord avec le premier commentaire (et les zotres aussi), mais la vieille Dame se met totalement la pression de vouloir faire des tonnes de trucs partout, de faire plaisir à tout le monde, et bein c'est normal qu'à un moment ça crash!!!
Les nains ils peuvent s'amuser tout seuls, les élèves, faut les oublier en sortant de l'école, et les gens autour, bah faut pas non plus trop donner (me rappelle les elections!!!)...faut vivre pour toi...et ton chéri aussi :D
Coucou , non ,non, pas un engrenage...Juste que tu peux tout poser ,là maintenant...Tu vois ?
Ca porte un nom mais bon...j'ai oublié ! ;-))
Il faut que je t'appelle !(En plein déménagement...!)
Bisous!
Post a Comment