Saturday, November 06, 2010

Regrets...

Hier en fin d'après-midi, on discute avec une maman au parc. Elle est prof de photo. Elle a fait des études de sciences à la fac, puis a bifurqué vers une ancienne passion. Mister k parle de son parcours, de son bac, s'arrête là parce que la maman devait partir mais sachez-le, il a fait les beaux-arts, et sachez-le aussi, j'aurais voulu être une artiste, moi aussi. Comédienne même.

Parce que je n'ai pas eu le courage de m'opposer à mes parents qui ne voyaient pas mon avenir du même œil, parce que j'étais trop timide, si peu sûr de moi, parce que je me trouvais trop grosse et moche pour pouvoir brûler les planches tant que je ne serais pas mince avec un joli minois... je n'ai pas fait plus de quelques apparitions sur scène. Et puis j'ai tourné la page.

J'ai fait des études, plutôt longues, j'ai un bac+5, j'ai eu 2 enfants, un divorce, un cheminement professionnel bien loin de ce que j'avais prévu, j'ai passé le concours de professeur des écoles, enseigné plusieurs années, en me demandant régulièrement ce que je foutais là. Pour diverses raisons dont j'ai déjà eu l'occasion de parler ici, et aussi parce que ce n'est pas un métier "intellectuel", pas un métier où on se creuse la cervelle, où on maintient ses neurones en bon état de marche.
J'ai encore plus réalisé la chose lorsque Mister k est entré dans ma vie, Mister k, brillant orateur, très cultivé... Je me souviens lui avoir dit que je devais quitter l'enseignement et trouver quelque chose de plus motivant sur le plan intellectuel, et puis vous connaissez la suite (ou pas: grossesse surprise, Libellule, projet professionnel "familial").

Hier soir, conseil d'école, de l'autre côté de la barrière cette fois, en tant que parent élu. Une copine présente également est épuisée, elle rend sa thèse dans dix jours et bosse à fond les manettes. On discute, elle me parle de son sujet de thèse, qui m'emballe, je demande si je peux lire son œuvre, elle accepte sans problème, j'ose lui parler de moi, de mes deux modestes sujets de maîtrise et DEA ("les objets écrits dans les comédies de Molière", et "la blessure dans la littérature médiévale", si vous voulez tout savoir). Elle rebondit: "quels objets écrits?". Je bafouille, je m'en souviens à peine, ça a pris un an de ma vie il y a 10 ans et j'ai oublié, je me sens vieille, rouillée.

Je la regarde, elle est en train de mettre la touche finale à 400 pages de thèse, elle bosse et écrit des articles. C'est ce que je voulais faire de ma vie, il y a une éternité. J'ai choisi un autre chemin, par manque de courage et d'ambition. Je regrette, je crois. Mais ce n'est pas le pire.

Le pire, c'est qu'aujourd'hui, je serais incapable de m'y remettre.
A une époque, j'étais capable d'écrire des pages entières sur des sujets qui n'intéressaient personne, j'étais un rat de bibliothèque qui s'épanouissait dans la fréquentation des textes anciens et de théories littéraires, je lisais l'ancien français couramment et me débrouillais bien en latin, j'étais capable de soutenir des discussions en allemand et en anglais et que reste-t-il de tout ça? Certains de mes écrits (mes mémoires et mes essais) se trouvent sur des disquettes qu'aucun de nos PC ne peut plus lire, d'autres, imprimés, prennent la poussière sur les étagères des toilettes de la maison, personne ne les a jamais lus, à part les profs à qui ils étaient destinés. J'ai donné ou vendu mes livres de fac, même et surtout ceux en ancien français, démoralisée que j'étais à l'idée que je ne pouvais plus les lire. J'ai perdu toutes mes capacités en langues étrangères, le latin je n'en parle même pas. Et surtout, la mémoire me fait totalement défaut, et je ne sais plus ni écrire ni parler, je patine lamentablement, je peine à finir mes phrases.

Aujourd'hui, nous sommes en plein dans notre projet de café associatif, c'est un beau projet, qui me tient à cœur depuis longtemps. Je vais m'épanouir à servir des thés et des gâteaux (je vous assure, j'ai adoré être serveuse, il y a une dizaine d'années!), je vais tenter de monter des soirées littéraires et artistiques (entre autres... si vous saviez ce que notre projet est tentaculaire!)... mais je sens combien ça ne comblera pas le vide qui me pèse de plus en plus.
Depuis quelques jours, l'idée de me replonger dans le latin me titille l'esprit... Et hier, après cette discussion avec la copine thésarde, j'ai songé à reprendre des études, histoire de remettre en marche une cervelle pleine de toiles d'araignée. Allez hop, yapluka :-)

13 comments:

Sothy said...

Qi n'a pas des regrets sur son parcours professionnel ou sentimental? Moi aussi j'ai un parcours en zigzag et il m'arrive de penser aux " si j'avais fait çi, si j'avais fait ça"...je me voyais déjà en haut de l'affiche...bref, un séquence nostalgie c'est utile pour mettre en perspective et te montrer le chemin que tu as parcouru, ce fut un bon voyage au final, non?

Petit Bruit said...

Tu sais, je viens de reprendre mes études, 6ans après les avoir laissées de côté. Ce n'est rien 6ans, mais je suis toute rouillée!

Je peine à me concentrer sur les paroles (pourtant passionantes) des profs, je peine à écrire, à analyser... et pourtant le sujet me passionne et j'aime ce que je fais.

Il parait que c'est le début, et que ça reviendra vite! Je m'accroche, parce que j'ai vraiment envie d'être en accord avec le métier que je fais :)

Il me tarde d'en savoir plus sur votre café livre! Ce projet m'a l'air vraiment très chouette, et je suis sûre que tu vas t'épanouir là-dedans!!!

Anonymous said...

Je ne sais pas ce que tu as perdu mais en tout cas ton blog est remarquablement bien écrit: intéressant original émouvant et passionnant.
Certe ce n'est pas une thèse illisible, mais une oeuvre humaine.
cdlmt
Zorro

Valérie de Haute Savoie said...

Nous avons apparemment beaaaauuucoup de points communs !!

Anonymous said...

il n'est jamais trop tard pour aiguisée la mémoire et quand l'envie vous prend c'est gagné. Ma fille instit vient de reprendre des cours d'histoire de l'art abandonnés pour l'IUFM depuis quelques années maintenant c'est reparti, elle en redemande même un vrai renouveau après ce break de quelques années.

zora said...

je n'ai pas de regrets dans le sens ou j'aime mon métier et si le gouvernement ne nous supprime pas tous bientôt, je ne souhaite pas en changer... par contre, j'aurai aimé passer l'agreg... j'ai essayé deux fois, puis j'ai eu le capet, je suis devenue prof en me disant que je retenterai en interne... et puis au bout de 10 ans, comme ti, je ne suis plus capable de relire mes cours... bah de toute façon, nos concours sont fermés, alors....

Daphnénuphar said...

C'est parce que ton cerveau n'est pas disponible pour ça, en ce moment. Mais détrompes-toi, tout revient immédiatement si tu as vraiment besoin de tes connaissances.

Et puis le panier de crabes de la fac, les potins de couloirs, la rivalité masquée entre collègues/amis, honnêtement, t'aurais pu supporter ça? Moi non.

Bismarck said...

Tu écris encore très bien.
Et il n'est peut-être pas trop tard pour réapprendre à apprendre.
J'ai déjà dit que je te trouvais bien courageuse. Si tu reprends des études, vraiment, je vais t'admirer encore plus! Des études de quoi?

co de contes said...

si l'envie te revient tu y arriveras..
regrets des fois aussi...de ne pas avoir spécialisé...
mais..non..finalement j'aime comme je suis!

Marité said...

Tout ce que tu as fait t'as construite. Travaille sur ce que tu as aujourd'hui, sur ce que tu es devenue, ne regrette pas le passé.

N'oublie pas qu'on ne sait rien de rien de ce qui aurait été. Tu serais peut-être devenue une universitaire triste, une femme sèche, une femme heureuse, une grande spécialiste, et peut-être pas.
C'est la vie qui a raison.
Ne disperse pas ton énergie, concentre-toi sur ton projet, il n'y a rien de mieux.
Et à part ça, je le trouve formidable ce projet de café associatif avec gâteaux, rencontres et vitalité. Bravo, vive toi!

Marité

Delphine said...

Dis-moi Bergère, c'est mon parcours que tu retraces là? J'ai simplement rajouté deux années surprises à la fac de Navarre après une année professionnelle en... communication... et suis plutôt littérature contemporaine, mais Paris IV m'avait décerné les meilleures notes pour la littérature médiévale :-) regrets sans en être, la vie, il faut la prendre comme elle est... tes enfants -et les miens- ne sont-ils pas sublimes? Et puis, tu nous imagines, pédantes, citant des auteurs à tour de bras au lieu de transmettre notre bon sens émanant de notre éducation, de notre culture et de la vie tout simplement! J'ai eu la même mauvaise surprise: vouloir parler de mon sujet de DEA, de mes conférences tout en ayant l'air d'une étrangère, surtout par rapport à ces sujets! regrets, manquements, oui, souvent, et j'ai pris la décision, maintenant que la perspective d'une réduction de mon horaire professionnel se profile, d'écrire plus sérieusement. Je te souhaite de trouver ton équilibre, ma bergère, entre vie de famille et vie professionnelle, chacune est importante.

LiliLajeunebergere said...

CitronVert, oui bien sûr!

Petit Bruit, des études de quoi? Bon courage!

Zorro, merci.

Valérie, j'aimerais bien savoir lesquels exactement.

Anonyme, oui, le tout c'est de s'y remettre.

Eddye, c'est dommage...

Daphnénuphar, c'est une des choses qui m'a fait reculer à l'époque, je ne suis pas capable de résister à ce genre de choses effectivement.

Bismarck, j'ai plusieurs idées, çà va un peu dépendre de notre projet; et je ne pense pas reprendre de études formelles, je risque d'être trop occupée pour ça... bref pour le moment c'est aussi vague que flou.

Co de Contes, ça va ça vient ici aussi.

Marité, je crois que ce qui m'ennuie le plus c'est l'impression d'être rouillée. Mais en principe j'évite les regrets, j'essaie d'avancer avec ce que j'ai, ainsi que tu le dis.

Delphine, ça alors! Paris 4, études de littérature médiévale... Oui, j'essaie de parvenir à une équilibre, je pense que le café associatif est un excellent compromis.

Petit Bruit said...

Je fais une licence pro en conception et médiation de projets culturels, en formation continue. C'est dense (plus de 30h de cours par semaine) faut s'accrocher ^^
Mais je me sens à ma place, et cela a du sens :)