Saturday, February 10, 2007

Journée ordinaire

Matin
J’ai toujours autant de mal avec le réveil. Le fait d’être tirée du sommeil alors qu’il ne fait pas encore jour et que la nuit fut trop courte.
Tom-Tom est de mauvais poil. Il est toujours de mauvais poil le matin. Il n’aime pas le réveil non plus. Il ne veut pas sortir du lit. Il ne veut pas prendre de petit-déjeuner. Et puis si finalement. Mais le pain n’est pas assez grillé, il n’y a pas assez de beurre, pas assez de chocolat en poudre. Et puis il ne veut pas le tee-shirt préparé la veille, il veut celui avec dingo, ou celui de foot. Il ne veut pas ce pull-là, « demain ». Il veut mettre ses basquets, et puis non, ses bottes. Lorsque je m’énerve parce qu’il ne veut pas se préparer, il s’énerve encore plus, c’est pas de sa faute, il veut un câlin.
Je n’aime pas le matin.

Je cours prendre le train, parfois j’ai du bol, j’attrape un bus. Sinon je vais à la gare à pattes, et je suis souvent en retard, parce qu’en plus de perdre de précieuses minutes à arrondir les angles avec Tom-Tom, je dois aider Nana à s’habiller, en ce moment.

J’arrive à l’école, juste le temps de lancer mon sac dans la classe, faire le tour des collègues, donner les dernières nouvelles, les élèves s’engouffrent dans la classe.
Ils sont tout mon horizon tant que nous sommes ensemble, en classe. Je n’ai pas l’impression d’être très efficace en ce moment, pourtant la classe tourne, j’ai pointé les difficultés particulières de certains élèves, j’ai renouvelé les affichages, j’ai des photocopies en avance, notre projet d’arts visuels d’après la Fabuloserie est presque bouclé…Mais entre les gastro de Tom-Tom puis de Nana, l’opération trois- soirées- aux- urgences, cette période a été trop en pointillée… Pas vraiment là…

Midi
Je lâche les élèves, et les larmes me montent aux yeux. Peut-être parce qu’ils sont mon refuge et que sans eux, la vie me retombe dessus, fatalement. Je me reprends, je ne dois pas me laisser aller, même si la tentation en est grande. Les collègues sont là, heureusement… Discussions profondes ou futiles, qui cachent la réalité le temps du repas… La solitude de ma classe, où je ne parviens pas vraiment à rester… Toujours un truc urgent à dire à une collègue, une photocopie à faire…Ne pas se laisser aller à penser…

Fin d’après-midi
Non, ne pas pleurer lorsque les élèves franchissent la porte… Ne pas se laisser envahir pas le néant… Par cet inconnu effrayant qui se trouve devant moi… Inconnu… Effrayant… Lorsque tout tient à un seul être imprévisible… Peut-être dangereux…
Non, ne pas penser… Pourtant il ne me reste plus que ça à faire… Une collègue me jette à la gare, et me voilà loin de l’agitation de l’école, seule avec moi-même… J’ai du mal à lire parfois, à cause de l’angoisse et des idées noires.

J’arrive à l’école des enfants. Tom-Tom joue au foot. Ca s’est mal passé à l’école aujourd’hui, ça fait plusieurs jours d’ailleurs, il est intenable, fait des bêtises… Régresse sur plusieurs points… Le mot est dit et ne m’étonne pas… Oui, il a beaucoup changé, beaucoup trop, nous nous retrouvons plusieurs moi en arrière, en pire… Nana a voulu revoir la psychologue scolaire qui l’avait aidée lors du meurtre de sa tante. « Je trouve qu’elle est triste », a noté son enseignante dans son cahier de liaison.
Triste, on le serait à moins. Un meurtre à encaisser, un père qui flanche, des dénonciations qu’on regrette ensuite… Vivre avec ça, j’ai dénoncé papa… Une mère au bout du rouleau qui se contente de mettre un pied devant l’autre chaque jour, parce que plus, c’est pas possible… Un petit frère épuisant, qui laisse couler sa détresse autrement.
Nous rentrons. Les crises commencent. D’ailleurs elles ont commencé dès qu’il m’a vue à la garderie. Me faire payer ? Vérifier jusqu’où il peut aller, jusqu’à quel point je l’aime ? Il prend systématiquement le contre-pied de ce que je lui demande, puis le contre-pied de ce qu’il vient de faire ou de proclamer, s’excuse sans raison, exige de même le pardon… Monte d’un cran, réclame tout puis son contraire, un câlin mais pas de moi et de personne d’autre mais un câlin quand même, tape, jette, cogne, crie, se roule par terre, veut un câlin mais pas de moi…
Ce soir, ça sera pâtes comme d’habitude, comment cuisiner dans ces conditions ?
Tout est prétexte à crise, il veut du gruyère dans ses pâtes, puis non, puis si, si, si heu ! n’a plus faim, mais veut un bonbon. Est fatigué. Saute partout, joue au foot – comprendre, tape du pied dans n’importe quoi sans interruption. Ne veut pas se mettre en pyjama, puis si, mais saute partout. Lasse de tenter de le contenir, je baisse les bras. Il pleure, veut son pyjama. Rebelotte au sujet du brossage des dents.
Nana fait ce qu’elle peut, nous essayons d’avoir des bouts de conversation malgré les conditions imposées par Tom-Tom. Mais le livre du soir, on a oublié depuis un bout de temps.

Soir
Je dois corriger, préparer mes cours… Essayer de ne pas penser… De repousser le gouffre à demain, il sera toujours temps.
Parfois – souvent - j’aimerais tout arrêter. A quoi bon lutter, lutter toujours, lutter chaque jour ? Lutter pour quoi, au final ? Au risque de tout perdre, voire d’empirer la situation ?
Chaque fois, je me souviens pour qui je lutte. Pour une petite fille triste et un petit garçon qui tombe. Et pourquoi, aussi. Pour celle qui aurait tout fait, s’il avait fallu, si une tombe n’était pas désormais sa maison, dans le petit village breton de son enfance. Pour celle qui ne peut plus prendre sa petite fille dans ses bras pour la consoler. Par respect pour elle, donc. Par devoir, presque. Celui de mémoire. Celui de la vie contre la mort.



Hier soir, les amoureux même pas vingtenaires ont fêté leurs deux ans d’amour au restaurant. Ils se sont pomponnés, habillés, parfumés. Je lui ai fait des boucles avec le fer à friser. Je les ai conduits au restaurant. Je les ai enviés, j’ai envié leur bonheur, celui d’aimer, d’être aimé, d’être ensemble. Lorsqu’ils sont revenus, j’ai eu du mal à m’extasier sur leurs cadeaux mutuellement offerts. Je n’avais qu’une envie, qu’ils aillent étaler leurs sentiments et émotions ailleurs.
Ce n’est pas de la jalousie. C’est juste que le bonheur des autres, il est insupportable, lorsqu’on n’est pas heureux.

5 comments:

Bellzouzou said...

je t'embrasse et pense à toi.

FD-Labaroline said...

Pas glop du tout, ce billet, ma grande! Bon ,tu relis mon mel précédent. Et tu sers les dents et tu ne regrettes rien. Tu devais le faire. Pas de culpabilité, tu as déjà bien assez "laissé couler" en esperant que c'était passager ou que ça allait changer. Stop. Là tu devais réagir. Tu l'as fait. C'est bien. Pas facile, ni à faire ni à assumer. Mais il fallait le faire. Maintenant tu vas marcher encore face au vent mais c'est pour votre bien à tous les 3. Tu n'as pas d'autre choix. l'autre choix c'est "complicité de...". Ne pas fermer les yeux, assumer les douleurs des enfants pour les aider, c'est tout sauf facile. Etre parent responsable c'est ça. Et là tu dois non seulement l'être pour deux mais éponger les dégâts d'en face. Fais-toi aider. J'y suis passée, j'ai survécu. Les enfant aussi. Non sans mal... Rien n'est jamais acquis. En attendant, un bon bain avec ma recette magique (entre dans le premier magasin bio et achète 1 flacon d'huile essentielle de verveine citronnée et 1 de lavande ) 1 poignée de gros sel, 6 gouttes d'huile essentielle de verveine, 3g de lavande, 1 grosse poignée de lait en poudre (ou 1 briquette de crème fraiche),tu mélanges, tu mets sous le robinet d'eau du bain et tu savoures, lumière tamisée. Tisane de camomille de rigueur. Et bon dodo ! Bises plein, courage !

Anonymous said...

J'ai lu ton billet avec beaucoup d'intérêt et de compassion pour vous trois. Le mots me manquent pour te dire combien je voudrais pouvoir t'aider. Je me permets de vous embrasser. Je pense très souvent à vous que je ne connais pas.

Anonymous said...

J'ai les larmes aux yeux après avoir lu ton billet. C'est dur de supporter les caprices que font tous les enfants petits, mais là avec les problèmes qui tournent autour d'eux je ne saurais pas me montrer ferme en ayant peur de les casser encore plus. Fais toi aider, il y a des psy supers. Il fait que tu puisse trouver de l'aide ou une oreille, sinon comment vas-tu faire pour ne pas craquer physiquement. Le corps ne peut pas tout encaisser il a des limites et tu n'as pas l'air d'avoir quelqu'un pour prendre la relève. Profite des vacances scolaires pour que tous les 3 vous puissiez vivre à votre rythme. Je t'embrasse... Dany

Anonymous said...

je suis assommée..tant de choses..tant de souffrances eprimées comme ils peuvent..une bonne dose de courage...