Saturday, December 13, 2008

Un jour (presque) ordinaire en ZEP

Pour ceux et celles qui n'ont pas suivi, j'ai achevé mon remplacement en clis. La directrice de l'école, une copine maintenant, une camarade de lutte aussi -nous militons dans le même parti, sommes depuis peu élues au comité local et au comité départemental de ce parti - bref cette fille formidable a trouvé qu'on ne passait pas encore assez de temps ensemble et a souhaité que je rempile dans son école les jeudi et vendredi en remplaçant l'enseignante qui prend sa classe ces jours-là (les autres jours, vogue la galère)

Semaine chargée: vente de livres le soir, vente de gâteaux le vendredi; une idée de mézigue, la vente de gâteaux. En novembre, chaque classe en a fait, cette fois on a demandé aux parents.

Jeudi, la journée est difficile. La directrice n'est pas là. J'ai une classe de CE1 d'enfants très agités. Ca n'arrête pas, ils gigotent sans cesse, font du bruit avec leurs chaises, leurs stylos, font tomber leurs trousses, se passent des mots, se disputent, me le disent, n'ont pas leur matériel pour travailler, se les volent, les perdent et accusent les autres... Je suis étonnée, en passant dans les rangs, de constater que malgré tout, et presque miraculeusement, le travail se fait. Malgré M., un personnage celui-là, qui parle sans arrêt, parle parle parle, embête les autres et parle encore, chante, danse, fait des bruits de bouche; malgré V., enfant d'une violence inouïe - j'avais entamé un billet à son sujet il y a quelques semaines, il faudrait que je l'achève et que je le publie... A 5 minutes de la sortie, soit 11h25, découragée par le bruit et les bavardages incessants, je leur demande de mettre leur bras sur la table, et la tête dans les bras. V. refuse. V., déjà prévenu que je leur refuserai en classe le lendemain - il est dans une classe supérieure, intégré le matin en CE1. Il m'envoie tout son mépris dans la figure. Je lui demande de quitter la classe, je parviens à lui faire franchir la grille, je récupère les autres élèves et les accompagne à la sortie.

Je me sens à nouveau incapable d'exercer ce métier, en échec total.
L'après-midi, en sport, M., énervé contre moi parce que je lui demande à 3 reprises de ranger le ballon, et alors que je m'approche de lui, m'envoie le ballon violemment dans les jambes.
Me revient à l'esprit la petite phrase que je lance aux enfants qui tapent régulièrement les autres: les enfants ne viennent pas à l'école pour que tu leur fasses mal.
Moi non plus, je ne viens pas à l'école pour me faire taper dessus.

Le lendemain, 8h30.
E. pleure: elle a oublié le gâteau que sa mère a fait, et puis son argent aussi. Je la console: oui c'est dommage, mais il y aura d'autres ventes, et pour le reste on se débrouillera le soir.
V. arrive dans ma classe, me défiant du regard. J'appelle la directrice, lui explique ce qui s'est passé la veille, accepte de recevoir V. encore ce matin-là. Elle lui fait son petit speech, plus qu'à croiser les doigts.
On se met au travail, dans l'agitation perpétuelle.
J'intercepte un mot de T. à L.: "S. est une p..."
On remarque en riant avec les collègues, lors de la pause, que c'est écrit sans faute d'orthographe...
La directrice prévient T. que nous ferons parvenir le mot à sa mère via le cahier de liaison. Elle pleure.

Une fois encore, je remarque que sans en avoir l'air, les élèves suivent, font ce que je leur demande. La plupart ont compris.C'est fatiguant d'oeuvrer dans cette poudrière permanente, mais je suis satisfaite du travail fourni. V. se fait à nouveau remarquer. Dans cette ambiance si fragile, avec ces enfants sur le fil en permanence, je ne peux accepter son attitude. Je ne peux pas la gérer non plus. Je le sors de la classe, la directrice l'intercepte. Je ne me sens pas courageuse, j'ai le sentiment de me contenter de sauver les meubles. D'envoyer le vilain petit canard se noyer ailleurs, pour tenter de tenir hors de l'eau les autres petits canards.

L'après-midi se passe tranquillement. Après la récréation, la tension monte. La directrice fait le tour des classes pour emmener les élèves qui ont apporté de l'argent choisir leurs parts de gâteau.
E. m'interroge: et moi?
Je l'envoie avec le groupe, je paierai plus tard.
Il reste 10 minutes. On entame un pendu. Les enfants butent sur le mot "télévision" mais trouvent "c'est bientôt les vacances".
Je les envoie mettre leurs manteaux.
K. m'explique, très sérieusement, très posément comme à son habitude, que décidément elle n'a pas de chance: sa maman ne veut pas lui acheter les livres qu'elle avait choisis parce qu'elle les a trouvés à la librairie "mais je ne suis pas sûre que ce soient les mêmes"; et en plus, elle n'a pas d'argent pour acheter des gâteaux. L'ensemble sans larmoyer, sans réclamer, juste pour info.
Je sors la classe dans une euphorie de kermesse, entre les tables chargées de livres et celles où trônent les gâteaux.
T. pleure, elle a peur de la réaction de sa mère, je sens en elle une folle angoisse, j'en touche un mot à la directrice, qui intercepte la fillette; j'apprends plus tard qu'elle a supprimé le mot que j'avais écrit (à sa demande) dans le cahier de liaison, je suis soulagée, je suis persuadée que ce mot aurait eu des conséquences dramatiques pour l'enfant.
Je reviens avec K. qui choisit une part de gâteau, toute contente de faire comme les autres. Je n'avais pas remarqué que F. n'avait pas d'argent non plus, elle se faufile à son tour au milieu des familles; toutes les deux filent en me remerciant.

La salle se vide, je rencontre E. et sa maman, qui se confond en remerciements. Nous envoyons les enfants qui restent à l'étude et aux ateliers proposés par la mairie faire une razzia sur les nombreuses part qui restent.
E., restée aux atelier, E. avec qui j'ai eu du mal au début, je la trouvais casse-pieds et arrogante, E. me propose le gâteau au chocolat que sa mère lui a acheté.

Je pensais rester avec ma copine directrice pour la vente de livres, lorsque je me souviens qu'il y a une vente de livres également à l'école de mes enfants!
Je file... A pieds (il fait trop froid, la descente sur mon fidèle destrier est insupportable!)
Et je cogite... J'ai le coeur léger. C'est dur, mais je sais que je suis à ma place, en tant que maîtresse, dans ce genre d'écoles, pour ces enfants-là. Après l'éprouvante année passée, j'ai retrouvé une sérennité méritée, je m'autorise à nouveau à m'attacher aux élèves, je leur fais des bisous s'ils le souhaitent, je prends le temps d'écouter leurs histoires, j'aime plaisanter avec eux, je suis la "maîtresse rigolote", la "fausse maîtresse" (une mère d'élève a eu le tact de m'appeler ainsi), la maîtresse pour de rire et c'est très bien comme ça.

2 comments:

bricol-girl said...

Maitresse pour de rire, tu ne ris pas tous les jours, quel métier, un sacerdoce devrais-je dire!

dany said...

La "fausse maitresse" mais qui arrivent à faire passer ses messages et surtout qui essaie de comprendre ses éléves et y arrive pas mal! Bon courage!