Wednesday, December 20, 2006

Fragments 2

Ce matin [dimanche] J’ai essayé de ne pas me réveiller.
Lorsque j’ai appris que tu avais été assassinée, une chape de plombs m’est tombée dessus et ne m’a pas quittée. Je suis épuisée et ma tête est prête à exploser. Je me suis couchée trop épuisée pour m’endormir vite. Et j’ai essayé de dormir le plus longtemps possible, pour ne pas avoir à repenser trop vite. Repousser le plus tard possible le moment où j’allais devoir affronter le jour et ton absence…Mais une pensée me harcelait : il faut remplir les bulletins pour demain ! J’ai fini par m’extraire du lit, toujours aussi épuisée, comme si je n’avais pas dormi, écrasée de chagrin, maudissant les bulletins, soudain si vide de sens, si dérisoires…
J’ai corrigé les derniers contrôles – oui, je me laisse souvent déborder mais habituellement je retombe sur mes pattes… Mais là… Corriger les contrôles, et te voir te débattre… tu dormais, tu as senti soudain des mains t’enserrer le cou, tu t’es débattue sans doute,tu as lutté pour vivre, et la dernière image que tu as emmenée dans la mort, c’est celle-ci, effroyable… ton mari qui te tuait… Où était Zaza à ce moment-là ? A-t-elle vu ? entendu ?

J’ai fini de corriger les contrôles… Il ne me reste plus qu’à remplir les 22 bulletins… D’abord appeler la mère de mon ex-mari… Apprendre que tu attendais que ton mari se remette de son opération vitale pour le quitter… Pour un autre… Zaza a été réveillée par les policiers lorsqu’ils sont venus la chercher… Comment a-t-elle appris que sa maman était morte ? J’imagine la chambre envahie par les policiers, les lumières de l’ambulance, le médecin qui essayait de te réanimer… parce qu’il y avait encore une flamme en toi mais elle n’a pas résisté… Zaza… Maman emmenée dans l’ambulance, recouverte d’un drap, papa menotté, dans la voiture de police… Zaza... comment surmonter ça à six ans ?

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Je suis allée chercher les enfants. Leur père ne leur a rien dit, rien de rien.

Je suis rentrée, je leur ai demandé de s’asseoir, j’ai quelque chose de difficile à vous annoncer. La maman de Zaza est morte. Stupeur. Larmes. Mais comment ? Tentative de mensonge : un accident. De voiture ? Ne pas tout dire mais ne pas bâtir de mensonge… Non, pas un accident de voiture. Alors quoi ? Je n’ai pas envie d’en parler pour le moment. Si, s’il te plaît, dis-nous. Elle a été tuée. Tuée ? Mais qui ? Qui l’a tuée, maman ? Je vous dirai plus tard, aujourd’hui ce n’est pas utile, elle est morte et c’est triste. Mais qui l’a tuée maman ? Papa ? Tonton ? Je ne me souviens plus des autres hypothèses proposées… Plus le choix. Foncer dans le mur… C’est tonton…

Voilà, tout est dit. Tout. L’abominable, l’inenvisageable. Les larmes, l’inquiétude pour Zaza, l’incompréhension vis-à-vis de l’acte en lui-même… Tonton était malade dans sa tête, il est devenu fou… Oui, d’accord, c’est à cause d’une maladie… Plus facile à encaisser pour eux je suppose…

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Tu as couché ta fille en lui souhaitant bonne nuit. Vous deviez vous revoir le lendemain matin. C’était un soir banal, un soir comme tant d’autres. Comme la banalité est insupportable parfois… Tu n’imaginais pas… Elle non plus… Que c’étaient le dernier regard, le dernier baiser, la dernière parole.
J’espère que vous aviez passé une bonne journée. J’espère que vous vous êtes échangées des mots d’amour. J’espère que les dernières heures, les dernières minutes, ont été emplies de sérénité et d’affection. J’espère que vous avez eu ça, au moins…

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Hier soir [mardi], j’ai fait une chose incroyable.
Il y a au fond de mon cagibi, sous une tonne de sacs et d’affaires en tout genre, un petit carton que je pensais fermé pour plusieurs années. S’il est là, c’est uniquement pour mes enfants, pour plus tard. C’est le carton maudit, comme toutes ces années dont j’essaie d’enfouir la mémoire au plus profond des méandres de mon esprit.
Hier, j’ai attendu que les enfants soient endormis, et j’ai plongé dans le cagibi.
Il m’en a fallu du courage, pour en arriver là. Et je ne sais pas vraiment pourquoi je fais ça, après avoir rapidement feuilleté les albums des années d’avant… mais j’ai besoin de le faire maintenant, de regarder en arrière, une fois le bouquet final jeté sur ta tombe. Peut-être par besoin de réaliser davantage à quel point tout était faux, à quel point nous nous sommes leurrées toutes les deux… Pour aller jusqu’au bout de ma douleur, afin de donner un coup de pied au fond pour remonter.
J’ai eu beaucoup de peine à extraire le carton. Je me suis assise à même le sol, et je l’ai ouvert.
Je n’ai pas déplié le drap, pas la peine de relire ce qu’il y avait écrit dessus. C’était le drap qui avait été fixé sur l’arrière de la voiture-balai, le jour de mon mariage. Convoi d’ange-heureux… Convoi dangereux… Ca me fait froid dans le dos, aujourd’hui.
Ma robe, mon horrible robe que je n’ai jamais aimée, imposée par mon ex, est roulée en boule dans un sac. Je l’y laisse. On m’a conseillé de la conserver pour les enfants, quelle blague…
J’ai essayé de repousser l’échéance, mais voilà, j’y suis… Les albums de mon mariage… J’ai tourné les pages en pleurant...
Quelle mascarade… Jolie fête mais mariage sans amour… Chaque photo de ces deux jours m’est une blessure… Mais j’ai besoin de te voir, et sur bien des photos tu es absente… Et lui, l’assassin, présent partout à tout moment… En représentation permanente… Comment regarder ces photos aujourd’hui ? Comme même les conserver ?
Et soudain, au détour d’une page, toi et moi, le soir du mariage civil, nos têtes collées l’une à l’autre. Nous ne sommes ni maquillées ni coiffées. Je fais l’andouille, dommage. Et toi tu souris. Ensemble, toi et moi, complices, jeunes, heureuses parce qu’on ne sait pas ce qui nous attend. J’ai arraché la photo de l’album, j’ai tout remis dans le carton, que j’ai remisé dans l’oubli, le seul lieu qu’il mérite.
Mais toi, ton sourire accompagnera mes journées.

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Noël approche… Les enfants ont décoré la maison au début du mois. Mais depuis trois jours, le sapin en plastique que les chats font sans cesse tomber a été remplacé par deux matelas… Tom-Tom et Nana ne peuvent plus s’endormir sans moi, depuis qu’ils ont réalisé qu’une maman, ça peut être tuée par un papa…

10 comments:

Cris said...

Toutes mes pensées t'accompagnent en ces temps si durs
Comme d'autres que moi ont du te le dire et comme tu ne l'ignores probablement pas, le fait d'en parler ne peut qu'être bénéfique; même si c'est encore beaucoup trop récent (et ça le restera longtemps..) pour que tu puisses avoir le recul nécessaire.
Je te souhaite beaucoup de courage ainsi que toutes ces choses que l'on peut souhaiter à des moments pareils, même si je ne trouve pas mes mots...

Anonymous said...

tu as eu raison d'en parler aux enfants, avec ton amour, ils vont sortir de cette épreuve. Et toi, tu as leur amour pour aller de l'avant, ne regarde pas trop en arriere, je sais que cela fais du mal.
Si tu as besoin de parler, je suis là, de jour comme de nuit

Bisous

tanette said...

Terrible récit. Comment vivre de pareilles douleurs ? Du courage (tu en as)et l'amour de tes enfants vont t'aider dans cette épreuve. De tout coeur avec toi. Bien sincèrement, je t'embrasse. (Je pense souvent à toi)

*isadora* said...

Je te fais juste des bises :)

Anonymous said...

Je suis bien d'accord, il valait mieux tout dire aux enfants. Sinon, cela aurait pu devenir un terrible secret de famille. Puisque leur père ne dit rien.

J'espère qu'il y a quelqu'un qui s'occupe bien de la petite Zaza. Mon dieu, 6 ans, c'est l'âge de ma fille. C'est si petit, si innocent, face à une horreur pareille.
Je suis incapable de trouver des mots qui puissent t'aider, juste t'offrir des yeux( et si besoin est, une oreille), attentifs et compatissants.
De gros baisers.
C'est tout.

FD-Labaroline said...

Plein de bises. Ton texte me fait pleurer toute seule devant mon ordi en plein CDI...Oui, comme les autres, tu as bien fait d'en parler à tes enfants, le poids des secrets de famille c'est plus lords qu'une vérité même laide. Et avec eux, la vie continue, différente de la veille. Courage.

Anonymous said...

Mes mots ont tellement peu d'importance par rapport aux tiens, par rapport a cette souffrance, cette epreuve que vous traversez.
Juste pour te dire que je pense a vous et que ces billets me bouleversent.

Bellzouzou said...

Je crois que tous ceux qui te lisent ont des pensées particulières pour toi en ce moment.

Anonymous said...

Bellzouzou a tout dit. Depuis que je t'ai lu, je pense et repense sans cesse à cette horreur. Une petite fille dont la mère meurt étranglée par son père. Les adultes se remettront-mal- de ce chagrin. Mais cette enfant? Ce boulet accrochée à sa vie, à toute sa vie. C'est à elle que je pense aujourd'hui. Et aussi à tes enfants qu'il ne faut pas laisser vivre dans la peur, celle de l'homme, celle du père qui peut tuer. Peut-être devrais-tu te faire aider par un professionnel pour les aider à encaisser le choc. Je pense aussi très fort à toi. La mort violente d'un être jeune et innocent est intolérable. Continue de crier ton chagrin sur la toile. On t'écoute, on est là. Bises à toi.

Anonymous said...

MA belle ,
Oui , tu as bien fait.Libérer la parole vraie, pour qu'elle ne couve pas sournoisement d'autres maux à venir.Les enfants ont bien réagi, en dormant près de toi.Logique ! Un temps viendra où tu pourras les rassurer en leur disant que toi, tu ne risques rien-Si c'est le cas .Si ce n'est pas le cas , ils le sentent ,de toutes façons.Si ce n'est pas le cas, prends bien soin de toi, je t'en prie...
Je suis disponible également , n'hésite pas , hein...
Bon sang, ça fait vraiment dur à vivre , tout ça . :-((
Pour cette robe , si tu la brulais, dans de belles grandes flammes libératrices ?
Toute mon amitié , je t'embrasse, fort-