En novembre dernier, j'ai effectué un stage de formation qui me laissait quelques jours libres, durant lesquels je devais rester dans mon école, mais pas dans ma classe puisqu'il y avait une remplaçante. Je suis donc allée donner des coups de main aux collègues dans les autres classes, dont j'ai pu enfin connaître les élèves - le visage de certains m'était encore inconnu.
Entre autres celui de ce petit garçon qui m'a très rapidement accaparée. Je ne pouvais faire un pas dans la classe sans qu'il me suive, il ne pouvait travailler sans que j'aie les yeux sur son travail, tant il était désireux de me montrer ses exploits.
"Ah oui, c'est L.", m'explique l'enseignante.... Sa réputation l'avait précédé. L., aussi brisé, déjà, à 5 ans, que violent.
Lorsque j'étais assistante de vie scolaire, donc dans des classes "classiques" pour aider des enfants handicapés, j'attirais déjà ce genre d'enfants déglingués. Normal, on a un autre statut que l'enseignant, on est de l'extérieur. Davantage que l'enseignant, que celui-ci soit un homme ou une femme, on peut jouer un rôle maternel.
Dans les mois qui ont suivi, L. me sautait au cou chaque fois qu'il me voyait. Beaucoup d'enfants de maternelle sollicitent des bisous, mais très peu sautent au cou comme ça, à nous étouffer. Son sourire triste, son regard de chien battu - il était souvent puni pour bagarre- me brisaient le coeur.
Je parle déjà de lui au passé.....
Hier midi, il m'a sauté au cou dans la rue.
L'après-midi, sa mère a réclamé un certificat de radiation.
Aujourd'hui, j'ai appris que la garde de L. lui avait été retirée et qu'il partait vivre dans un autre département chez son père - il ne finira même pas l'année scolaire dans cet établissement où il a des repères. Passer d'une mère droguée à un père alcoolique, c'est ce qu'on peut vivre de plus chouette quand on a 5 ans.
En quittant l'école, j'ai pleuré. Pour lui, pour tous les petits L. que j'ai déjà croisés, pour tous ceux que je vais croiser. Pour L., surtout, aujourd'hui. Que deviendra-t-il? J'espère qu'il s'en sortira..... Je regrette de n'avoir pu faire plus pour lui.
Je sais que je dois me blinder, parce que j'en verrai d'autres, comme on dit. Est-ce qu'on arrive, chaque fois, à tourner la page? A accepter l'inacceptable, année après année? A accepter de ne pouvoir rien faire, de ne pouvoir tous les sauver? J'en ai déjà laissé 2 sur le carreaux.....
Wednesday, April 26, 2006
Subscribe to:
Post Comments (Atom)
9 comments:
:-(
Tu n'y peux rien, juste donner du sourir, de l'affection et de l'attention le temps que se croisent vos vies... pour le reste... tu ne les oublies pas et il se peut qu'eux aussi gardent toujours au coeur la marque de ton passage. On ne se blinde pas, tu n'es pas une machine et c'est le pire qu'il puisse arriver à un enseignant : l'indifférence par excès d'auto-protection. Simplement ,avec le temps on fait confiance à la vie et on se dit que le bâteau de ces enfants-là rencontrera de jolies îles parfois...
Je ne sais pas si tu dois te blinder... je comprends ce que tu veux dire, et je comprends que tu éprouves le besoin de le dire, mais vu d'en face, je crois que c'est bien, qu'il y ait toujours des gens qui ne soient pas nécessairement "blindés", capables d'ouverture et capables de compassion.
Tu lui as sans aucun doute donné une image maternante, à défaut d'image maternelle, et qui sait ? parfois, un enfant, très résilient, se sert de ces graines-là pour pousser, longtemps et loin.
les petits L on en croise malheureusement trop souvent.....quand je travaillais dans un centre pour enfants handicapés comme secrétaire, il y avait un petit garçon qui se sauvait du jardin d'enfants pour venir me faire un calin. Cet enfant était handicapé à vie parce que sa maman l'avait jeté par la fenêtre.Les éducatrices le laissaient venir à moi, car elles ne voulaient pas créer de lien trop fort avec lui. 6 ans aprés, je pense encore à lui, à la chaleur de son petit corps, et comme toi je suis triste de ne pas avoir pu lui donner plus.
J'enseigne auprès d'ado qui ont tous un lourd fardeau familial et personnel. Certains sont hospitalisés pour tentative de suicide, d'autres décrochent parce qu'ils n'arrivent plus à croire en eux.
J'en ai une poignée qui sont là présents et qui se battent.
Malgré tout il faut prendre de la distance, car dans ce métier on ne peut pas faire plus que les valoriser, leur transmettre du savoir et du savoir faire. Et leur apprendre à vivre en société.
C'est important de tenir compte d'eux, de les écouter, de les comprendre, mais je pense qu'il faut rester à sa place. On en peut porter sur nos épaules tout le malheur de ses enfants et ados.
Qu'en penses tu?
Avoir de la compassion, mais garder le sourire de la vie a moitie pleine (bien que la moitie vide c'est aussi bien) c'est un gros travail d'acceptation de l'impermanence des choses, c'est ce qu'a emprunte Cyrulik au bouddhisme.
Tu ne sais pas quoi faire pour des L... moi non plus et ca me desole aussi mais heureusement qu'il aura le choix de devenir adulte. Mais en tout cas il y en a plein a qui tu peux venir en aide et deja ca remplit pas mal le coeur...
Je ne sais pas s'il faut que tu te "blindes", moi je trouve que sur ce coup-là tu t'es comporté comme il le fallait avec beaucoup d'amour.
Ne changes pas ;()
je sais
ca me fait pareil
mis on ne se blinde pas
ca ne les sert pas de toutes façons
et c'est ca notre métier: servir :)
(je t'embrasse)
Pas facile, dis donc! De toutes façons, vous, les enseignants, je vous admire, je ne serais pas capable de faire ce que tu fais, parole!
Vous êtes tous dans le vrai.... Il ne s'agit pas du tout de se blinder en fait.... Juste d'accepter de ne faire qu'un tout petit bout de chemin avec des enfants et de ne pas savoir ce qui leur arrivera après.... Et d'être là pour eux tant qu'on peut.... Comme tu le dis Cécile: rester à sa place....
Post a Comment