Thursday, January 12, 2006

A la recherche du temps perdu

Elle s'appelait Sophie, nous avions 18 ans, et elle était superbe. Magnifique.
Cela m'a étonné qu'elle s'intéresse à moi, recherche ma compagnie. Ce fut ma plus belle histoire d'amitié. Physique mis à part, nous étions si semblables, elle et moi...... si semblables malgré nos vies différentes.... en elle avait pu s'épanouir la graine artistique que mes parents avaient étouffée en moi..... elle était l'artiste que j'aurais voulu être...... et elle était mon amie.

Nous devions partager un appartement à Paris l'année suivante... Mais durant l'été, elle a rencontré l'homme de sa vie. Elle m'avait envoyé une lettre enflammée ( que j'ai longtemps conservée, et je n'ose retourner mes vestiges de l'époque de peur de m'apercevoir que je l'ai jetée dans un moment de lucidité) pour m'expliquer ça, m'expliquer son bonheur, m'expliquer l'amour absolu. C'est cet amour qui nous a éloignées l'une de l'autre..... pour être tout à fait exacte, elle a brutalement coupé les ponts, après encore une ou deux lettres. Elle venait de rentrer dans un monde d'artistes bohèmes et fauchés, plus âgé que nous, là-bas, à Vienne..... qu'avait-elle à faire de la petite parisienne de 19 ans qui se fit poitevine durant deux années????? C'est peu dire que son indifférence brutale à mon égard m'a fait souffrir. Ce fut une véritable torture qui se transforma en obssession...... Elle me manquait tant!!!! Je n'arrivais plus à vivre, et c'est la raison pour laquelle je suis totalement passée à côté de ma première année poitevine, ce qui est fort dommage, lorsqu'on connait cette ville.

C'est vers la fin scolaire de cette année-là que j'ai rencontré Vincent. Si vous êtes forts en maths, vous calculerez aisément que c'était l'été de mes 20 ans.
Nous étions chez une amie commune, il m'a regardée, m'a souri, et j'ai chaviré. Il avait le même sourire très particulier que Sophie.

Je suis tombée amoureuse de lui, totalement, irrémédiablement..... Et aujourd'hui encore je m'en étonne: était-ce juste à cause de ce sourire? est-ce qu'une imposture peut froudroyer ainsi?

Les personnes présentes à cette soirée se confondent en un brouillard uniforme..... d'ailleurs, elles se sont bien vite esquivées, sur la pointe des pieds.... Parce qu'il y avait nous deux, et toute la foudre, et tout l'amour du monde, en tout cas tout l'amour de mon monde, y'avait de la place pour personne d'autre.

Et malgré tout, il ne s'est rien passé entre Vincent et moi. Monsieur avait une amie, qui n'était pas présente ce soir-là, mais il ne pouvait la tromper, ce qui est tout à son honneur. Sauf qu'il ne l'a pas quittée. Il venait me voir le soir, on discutait jusqu'à pas d'heure, et il repartait.

Et je ne comprenais pas son manège, qui me blessait, par dessus le marché. Parce que si c'était de moi dont il était amoureux, pourquoi il ne larguait pas l'autre, hein?

Oh!!! il ne s'est jamais compromis, ne m'a jamais fait de déclaration..... m'enfin, y'avait des choses qui passaient..... Oui, j'aurais dû lui sauter dessus, pour l'obliger à se dévoiler, mais j'étais trop peu sûre de moi, et puis d'abord, c'est aux hommes de faire le premier pas, et le deuxième aussi, et le troisième tant qu'à faire.

Je suis rentrée chez mes parents durant les deux mois d'été, j'ai travaillé, et reçu de sa part une lettre où il suggérait tout sans jamais rien dire explicitement. Il s'est rué chez moi dès mon retour à Poitiers, et là, du haut de la bêtise de mes 20 ans tout neufs, je lui ai raconté mon été, huhu..... bin quoi, je pouvais bien le faire mariner à son tour.....

Et il est parti. Comme un voleur. Me laissant totalement désemparée, ce soir là, et tous les suivants durant cette année-là. J'ai à nouveau manqué les plaisirs estudiantins et j'ai eu mon deug avec mention bien, ce qui est fort honorable.

Il me manquait, Sophie me manquait, ma vie n'avait plus aucun sens. Je suis devenue folle, je me suis enfoncée jour après jour, bouffée par le chagrin, la détresse et le dégoût de moi, accumulant les conneries d'ado gravement attardée, refusant la vie, le bonheur et les ziozaux qui chantent dans les arbres aux printemps.

Et puis un pauvre paumé comme moi m'a proposé de faire un bébé, alors quitte à mourir à petit feu, autant renaître de ses cendres.

Et puis il y a eu un mariage sans amour, un autre bébé, une chute et une lutte pour remonter à la surface.

Et Vincent a fait sa réapparition.
Avec à nouveau ses discours alambiqués, destinés à m'expliquer que oui mais non mais enfin peut-être......
"J'attendais que tu quittes l'autre et que tu m'appelles pour revenir...... t'avais mon numéro, pourquoi ne m'as-tu pas appelé?"
Le choc, tant d'années après..... Ah bon? c'était aussi simple que ça? pour moi, à l'époque, ce qui était clair comme de l'eau de roche, c'est que l'abruti avec qui je suis sortie l'été de nos 20 ans n'avait aucune importance, que c'était juste une basse vengeance mesquine!!!
Il suffisait donc que je l'appelle? et j'aurais échappé à toutes ces années noires? Et il aurait été mon nord, mon sud, mon est, mon ouest, mon midi, mon minuit, pour aujourd'hui et pour toujours?

Ceci dit, je ne l'avais pas son numéro. Je ne savais même pas où il habitait. J'aurais pu connaître tous ces détails sans souci, mais dès le début, il était clair que c'était lui qui décidait, qui menait le jeu.

Le jeu, puisque s'en fut un, continua donc. Parce que cette fois, nous avons concrétisé ce qui n'avait pas eu lieu auparavant. L'amour n'était pas revenu, mais il était le seul homme que j'aie jamais aimé, mon amour pour lui était sans doute tapi tout au fond de mon coeur, derrière la tristesse, la rancoeur et les soucis.

Mais l'amour ne pouvait revenir dans les conditions que Vincent m'imposait. Il ne venait que lorsqu'il n'avait rien de mieux à faire. Je reste persuadée que ses amis, comme lui presque trentenaires parisiens bobos sans enfants, lui ont monté la tête: pourquoi il allait s'embêter avec une mère de deux enfants, franchement.....

Bref, tout cela a vite fait de me déplaire. Ses promesses non tenues. Ces journées à attendre son appel. Je me sentais partir, à nouveau..... jusqu'à ce jour où j'ai fondu en larmes en écoutant "le petit pull marine" chanté par Isabelle Adjani.

Bon, ça suffat comme ci, exit le Vincent.

Sauf que Monsieur était un homme, un vrai. Il ne pouvait accepter de se faire quitter. Il est revenu, avec mille nouvelles promesses, mille explications sur son comportement..... Il est revenu, donc, pour une nuit, puis a fui sans plus jamais donner de nouvelles. Je m'y attendais, et je crois que j'avais besoin de ça pour le trouver définitivement lâche et immature. Minable. Ce qu'il était, ce qu'il avait toujours été, avec moi du moins.

Depuis je me suis perdue à nouveau, un peu. J'en joue, presque.... A mon tour..... Je deviens cynique et méchante et je le regrette.

Mais ma réalité, c'est que malgré tout, j'ai le sentiment que c'est une histoire pas finie. Plus exactement, deux histoires pas finies, inextricablement liées, parce que pas loin de Vincent, il y a Sophie.

Mon amour absolu, mon amitié absolue, tous deux jetés aux ornières, sans explication. Et c'est cela qui me manque fondamentalement, des mots sur ces deux histoires, ce qu'elles ont représenté pour les deux personnes concernées, ce que j'ai représenté pour elles, et pourquoi soudain, dans les deux cas, plus rien qu'une fuite. Il y a un trou dans mon passé, qui se répercute sur mon présent, parce qu'il me laisse sans cesse en attente et m'oblige à fuir tout nouvel amour. Ce qui me donne l'impression confuse que je suis destinée à recroiser un jour Vincent et Sophie. Qu'ils m'attendent quelque part, avec leurs mots, quels qu'ils soient, qui reboucheront le trou. Parce que je continue de préférer les portes ouvertes que fermées.

Et parce que stupidement, je ne cesse de me dire qu'on a manqué de chance, Vincent et moi.

Non, notre histoire n'est pas finie. Il m'attend quelque part, pour en écrire la fin, avec moi, en une heure ou en une vie. C'est ce que je me prends à espérer, parfois, lorsque je réalise à quel point mon coeur est froid, en me souvenant que seul lui était parvenu à le réchauffer.

11 ans me séparent du début de cette histoire.... plus du tiers de ma vie.
Mes années vingtenaires ont été un long chemin douloureux, qui m'a empêchée de profiter du bel âge. Je réalise chaque jour davantage que je vais entrer dans la trentaine. Sans fausse coquetterie, mais avec l'amer sentiment que j'ai oublié de vivre durant trop d'années. Que ces 10 années sont passées sans que je les voie.

Le monde d'internet me permet d'obtenir le moyen de joindre Sophie et Vincent. L'envie m'en démange, parfois. Mais le quotidien, reprenant le dessus, ne m'en laisse pas le temps. Tant mieux...... Je laisse à la vie le soin de tracer mon chemin...... je verrai bien où il me mène.... qui sait......

5 comments:

Anonymous said...

C'est beau et très touchant... Nous avons chacun nos blessures. Personnellement, j'ai fait le choix de fermer la porte définitivement sur une vieille histoire, celle de ma meilleure amie (de 5 à 20 ans), qui m'a refusé son amitié et son soutien le jour où je lui ai annoncé mon mariage. On s'est revu mais plus rien n'est possible. La dernière fois, c'était il y a 3 ans, j'en ai bcp souffert mais depuis j'ai fermé cette petite porte de mon coeur et je me sens bien mieux.

Anonymous said...

Hélas en effet, je cris qu'en amitié comme en amour, il est difficle de recoller les morceaux...
Tourner la page est apaisant, mais il faut pour cela avoir trouvé ou obtenu réponse à certaines douloureuses questions...

Anonymous said...

tu entres dans la trentaine ?
Tu vas vois, ce sont les plus belles années qui sont devant toi, refermes les portes du passé et regarde devant !
C'est une trentenaire qui n'a pas pu vivre son adolescence et sa jeunesse qui te le dit.

LiliLajeunebergere said...

muriel, je sais que j'avancerai beaucoup le jour où j'écrirai le point final à ces histoires.... mais je ne trouve plus mon crayon...

Loréal, oui, je ne parviens pas à laisser certaines questions en suspens..... comme celle, cruciale: Vincent ne m'a-t-il jamais aimée? c'est ce qui me bouffe le plus je crois....
Et je crois que tu as compris comment laisser un commentaire ;-)

la jd, encore quelques mois de sursis.... j'ai le sentiment d'avoir 20 ans (physiquement, c'est limite, même si j'ai moins de remarques depuis quelques temps)alors je n'arrive pas à réaliser que j'en ai 10 de plus!!! mais je m'y ferai bien, et je prfiterai, oui ;-)

Anonymous said...

horreur la jd m'a piqué mon comm.
m'étonne pas, elle a raison tes plus belles années sont devant toi. tu vas avoir de belles et bonnes surprises