L'année où j'ai passé le concours de prof, j'ai eu la chance d'être auxiliaire de vie scolaire (avs). Il s'agissait d'aider des enfants diversement handicapés à être intégré dans des classes "ordinaires". Selon le cas, les aider à se déplacer, à comprendre les consignes de l'enseignant, à faire les exercices demandés....
J'aidais entre autres un petit garçon de 5 ans, plurihandicapé, en grande section, 3 matinées par semaine.
Aider est un bien grand mot dans la mesure où je n'avais aucune formation d'une part, et où le petit garçon avait beaucoup de difficultés et n'avait pas particulièrement envie de travailler d'autre part (et aider quelqu'un contre son gré, ce n'est pas aisé). Son comportement s'est dégradé au fil des mois, il se sauvait, tapait, et passait de plus en plus de temps allongé sur le tapis à se bercer en chantonnant. Avec l'enseignante, motivée mais pas plus formée que moi, nous faisions ce que nous pouvions.
Il devait se faire opérer du coeur pendant les vacances de Pâcques. Lorsque j'ai appris la nouvelle, le mien, de coeur, s'est serré. Une opération du coeur, ce n'est pas rien. Et puis son corps était déjà si meurtri, à un point que je n'imaginais pas possible.
Le matin, les cours de cette école s'achevaient à 11h45 et non 11h30 comme souvent, et l'enseignante tenait à ce que je parte à 11h30 (j'arrivais à 8h30) parce qu'elle trouvait hors de question que je travaille 1/4h de plus chaque jour.
La veille des vacances, j'ai mis mon manteau, j'ai dit au revoir aux enfants, et je me suis approchée de lui pour l'embrasser, comme d'habitude.
"Je t'accompagne jusqu'au portail", a-t-il déclaré.
Il ne l'avait jamais fait. Il a mis ses chaussures, son manteau, et il m'a accompagnée jusqu'au portail.
C'est en réfléchissant à ce billet que j'ai compris ce qui m'avait entre autres émue: jusque là, il n'avait jamais manifesté de sentiment quelconque à mon égard. Mais finalement, pour lui, j'étais une personne un peu particulière et il me le prouvait.
En arrivant au portail, nous nous sommes arrêtés. Je me suis accroupie devant lui. Je ne sais plus ce que je lui ai dit exactement, quelque chose comme "je vais penser à toi, j'ai hâte de te revoir, remets-toi vite."
Nous nous sommes embrassés. J'essayais de cacher mon émotion. Je me suis relevée et je me suis éloignée. Après avoir fait quelques pas, je me suis retournée. Il était reparti vers le bâtiment, marchant lentement, la tête rentrée dans les épaules, un peu baissée. Seul. Résigné. C'est ça qui m'a frappée, son absence de révolte, son acceptation, ça m'a semblé terrible.
L'opération s'est bien passée. Nous avons fini l'année scolaire. Je sais qu'à la rentrée suivante, il est rentré dans un établissement spécialisé. J'espère qu'il va bien. Je pense souvent à lui, avec tendresse, avec tristesse. Je sais déjà qu'il fera partie des enfants qui auront toujours une place dans mon coeur.
Wednesday, May 31, 2006
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7 comments:
Il y a une AVS dans la classe de ma 2ème fille et tous les enfants l'adorent. Elle a une place importante pour eux, pas uniquement pour le petit garçon qu'elle aide :-)
je suis sûre que c'était pareil pour toi...
Touchante histoire qui prouve combien malgré son manque de manifestation, ce petit garçon s'était attaché à tout ce que vous faisiez pour lui.
Merci.
Tu ne peux t'imaginer à quel point ton histoire me touche.
Je me suis battue pour que Gaby ait une AVS. C'est fait depuis Pâques. Elle l'aime beaucoup, elle dit son nom (elle parle très mal et peu, Gaby).
Merci de reparler de nos enfants meurtris.
... et il a opéré... une incursion dans ton coeur.
C'est joli.
Bah, je me déteste : je fais des commentaires à l'eau de rose...
Bon, en même temps, je ne peux pas nier que ton émotion à parler de ce petit garçon est communicative.
Je l'ai lue hier soir, j'y reviens parce que ça fait du bien de te lire, même si c'est poignant et qu'on en reste sans voix.
je ne sais plus par quel chemin je suis passée pour entrer chez toi mais je me suis retrouvée dans tes mots.... moi aussi j'ai fait un post sur mon joli boulot .... ravie d'avoir fait une pause chez toi !
luna pat, c'est vrai que des liens se créent avec d'autres enfants aussi!
tanette, merci :-)
simone, j'ai pensé à ta fille et toi en écrivant ce billet....
david, ça tombe bien, j'ai besoin d'eau de rose en ce moment ;-)
lecolealamaison, merci :-)
barberine, je connais le chemin qui mène chez toi et je ne vais pas m'en priver :-)
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