Thursday, October 02, 2008

Juste une petite fille...

Un jour, elle a fait exactement ce que fait ma fille, le même geste, la même recherche de protection et de tendresse: elle a attrapé mon poignet, s'est retournée en se blottissant dos contre mon ventre, mon bras passant au dessus de son épaule.

Ce n'est pas ma fille mais mon élève.
Petite fille qui grandit en foyer, comme une autre fillette de la classe - une autre encore vit en famille d'accueil et me raconte les histoires de son cochon qui parle, de ses parents avec qui elle est allée à la mer hier (jamais en fait), de sa mère qui tous les jours fête son anniversaire.

(Je prends chaque jour la mesure du seul blocage (et non du réel handicap mental) dont souffrent une partie de mes élèves, blocage dû au manque affectif - voire pire. Une partie d'entre eux ne devraient pas être là, n'en seraient pas là, s'ils avaient eu des parents aimants et attentifs. Certains n'apprendront jamais à lire. Les autres sauront tout juste déchiffrer. Que deviendront-ils, dans ce monde si peu fait pour eux?)

Mardi dernier, après la difficile matinée qui fut la mienne, j'ai un peu craqué, je les ai coiffées, les deux petites filles du foyer - celle qui vit en famille d'accueil aurait aimé aussi, mais elle a les cheveux courts. J'ai défait leurs longs cheveux qu'elles nouent le matin à la va-vite en queue de cheval, j'ai fait des nattes à l'une, des macarons à l'autre, l'espiègle, la fragile, celle qui ne voit plus du tout ses parents - elle n'en parle même jamais.
Une petite voix, dans ma tête, me mettait en garde: "danger, danger".

Quel danger y a-t-il, à avoir un geste de tendresse envers une petite fille qui n'a pas dû beaucoup en connaître?

Vendredi soir, elle a conduit son éducateur à moi. Très mignon, l'éducateur. Elle tenait absolument à nous présenter l'un à l'autre. Message clair.
Danger, danger...

Lundi, elle ne pouvait pas venir à la piscine à cause de boutons sur les jambes. Elle a pleuré. Je l'ai consolée. Un peu plus tard dans la matinée, je l'ai emmenée dans une autre classe. Tétanisée, pleurant doucement, elle s'agrippait, se collait à moi.

Le soir, elle n'a pas voulu franchir les grilles de l'école. Elle tenait fermement ma main. Elle a attendu qu'une autre petite fille du foyer vienne m'embrasser - j'ai été sa maîtresse une semaine l'an dernier, les liens restent forts...- pour m'expliquer que celle-ci l'accusait d'avoir volé ses billes, "mais c'est pas vrai".

Je réalise à quel point elle m'a investie. A quel point elle voit en moi celle que je ne suis pas.

J'aimerais pouvoir offrir à cette petite fille - plus qu'aux autres, je l'avoue, et je sais parfaitement que je ne devrais ni le dire ni le ressentir - la possibilité d'une autre vie... Pouvoir, avoir le droit, de la prendre par la main et de l'emmener sur un autre chemin.
Je sais que c'est impossible, je sais que nos chemins ne font que se croiser quelques temps, j'espère juste parvenir à ôter du sien quelques cailloux...

4 comments:

zora said...

et dire que le gouvernement s'échine à casser, détruire le système éducatif... que vont devenir les laissés pour compte ? les classes "spéciales" seront maintenues ? considérées encore comme "poubelle pour enfants qui n'ont aucun avenir" ?
ca me désole.
Ton histoire me serre le coeur...

Anonymous said...

j'ai été prof trop peu de temps pour m'apercevoir de la "casse sociale" sur ces enfants. j'étais en lycée, en plus, où ceux ci n'arrivent peut-être pas. c'est chez toi et sur d'autres blogs que j'en ai pris conscience.
c'est tellement révoltant... qu'on a tout de suite envie de les adopter, ces petites filles, pour les coiffer le matin avec la mienne (qui râle que ça lui tire les cheveux, bien sûr) sauf que, c'est impossible, leur parcours ne le permet pas... elles ne sont pas dans la bonne case !
Tu peux juste leur adoucir la vie comme tu peux et surtout leur faire comprendre qu'elles ont besoin de savoir lire et écrire pour s'en sortir.
est ce que ça suffit pour surmonter ce type de blocage, pas sûr ?
clara.be

FD-Labaroline said...

Même si vos chemins ne font que se croiser, tu peux lui apporter beaucoup et participer à sa construction d'adulte. parce que ce que nous sommes est le résultat des multiples rencontres qui ont précédés. Alors laisse se faire ton élan envers elle mais toi, protège-toi également de le séparation inéluctable dans qqs mois...

LiliLajeunebergere said...

Eddye, j'ai la même inquiétude que toi...

Clara, c'est tout ce que je peux faire, leur dire qu'elles en valent la peine, qu'elles sont importantes... Mais ça ne suffira pas à leur permettre de surmonter le blocage affectif.

FD, je suis sur son chemin trop peu de temps, et je me protège, oui, bien forcée...